Utilisation de la réalité virtuelle au NHS pour atteindre une communauté traumatisée

Conversation entre Ross O’Brien (NHS) et Denise Silber (VRforHealth)

Ross O’Brien est à la fois directeur de l’innovation numérique au Central and North West London NHS Foundation Trust, au Royaume-Uni, et responsable du programme de thérapies numériques parlantes au NHS England Londres, où l’on travaille à la création d’un point d’accès numérique unique pour tous les Londoniens utilisant les services de thérapie psychologique du NHS. Ross est titulaire d’une maîtrise en Droits de l’Homme de l’Université de Londres et est diplômé du Digital Health London Digital Pioneer Fellowship.

DS : Ross, vous avez deux rôles au NHS. Est-ce courant ?
RO : Comme vous l’avez deviné, ce n’est pas très courant. Ma fonction principale est de travailler du côté des professionnels de santé en tant que directeur de l’innovation. J’interviens comme support de l’innovation en santé en mettant en place de nouveaux services : RV, IA, automatisation robotique des processus. Dans mon autre rôle, je supervise les services numériques de thérapie parlante (TTS) pour Londres. Nous offrons une gamme de thérapies psychologiques : thérapie cognitivo-comportementale, conseil, EMDR, etc. Le NHS trust dans lequel je travaille fournit des centaines de services, du berceau à la tombe, principalement sur la santé mentale et la communauté. Notre territoire de Londres-Centre et Nord-ouest correspond à peu près à un cinquième de Londres. Nous ne fournissons pas de soins spécialisés, il n’y a donc pas de soins aigus ni d’urgences, mais nous avons des lits de soins secondaires. Pour le moment, nous avons 100 lits Covid.

DS : À quel stade le NHS en est-il dans le déploiement de la RV thérapeutique ? Quand pourrions-nous commencer à voir certains des NHS trusts commencer à déployer la réalité virtuelle ?
RO : Au Royaume-Uni nous voyons de nombreux essais à petite échelle dans la RV thérapeutique, depuis les interventions de santé mentale et de bien-être jusqu’à la gestion de la douleur, à la réadaptation pulmonaire et au-delà. Ce que le Royaume-Uni doit faire ensuite, c’est réunir tout ce bon travail, soutenir des projets de grande qualité menés isolément et prendre au sérieux les investissements, la mise à l’échelle et le partage des bonnes pratiques.

DS : Dans votre fonction de Services de thérapie verbale, vous avez utilisé la réalité virtuelle après le tragique incendie de la tour Grenfell, où un incendie dans un immeuble résidentiel avait entraîné de nombreux décès, de nombreuses blessures et une communauté traumatisée. Voulez-vous nous en parler ?

RO : La Grenfell Tower, 24 étages, se trouve à North Kensington, à l’ouest de Londres. En juin 2017, un incendie s’est déclaré, faisant 72 morts. Plus de 70 autres personnes ont été blessées et 223 personnes en ont réchappé. J’étais directeur des services de santé mentale de Kensington et de Chelsea, et l’incendie avait eu lieu à North Kensington. Mon rôle a été de mettre en place des services de deuil traumatique et de santé mentale bien adaptés aux personnes touchées. On peut dire qu’au-delà des blessés et des morts, onze mille personnes avaient été traumatisées.

Après l’incendie, il ne fut pas surprenant que la communauté de Grenfell se méfie du gouvernement et des figures d’autorité. Dans les services de santé mentale, notre rôle de soutien des gens est donc devenu encore plus difficile. Nous allions comme d’habitude dans l’ouest de Londres, sur Portobello High Market Street à Notting Hill, qui, avant la Covid, était un quartier très animé. Normalement, nous nous tenions là et commencions à aborder les gens avec le matériel du NHS : des dépliants, des bannières, des stylos. Mais, après l’incendie, personne ne voulait nous parler.

Cela a changé lorsque nous sommes arrivés là-bas, tenant entre nos mains des casques de réalité virtuelle. Tout le monde est venu demander « Pourquoi êtes-vous ici ? Pourquoi ces casques de RV ? » Au début, le contenu que nous avons proposé était un Voyage à la station spatiale internationale, ou les Jungles de Columbia avec Richard Attenborough. Le favori fut un Tour sur des montagnes russes. Tout le monde voulait ça.

DS : Et la conversation a commencé…?
RO : Oui. Si j’avais commencé par « Je voudrais vous parler de santé mentale », ils se seraient enfuis. Mais ils ont été impressionnés par le contenu RV. Et puis ils ont littéralement commencé à nous parler franchement. Ils pouvaient dire : « Mon fils ne dort plus. Est-ce que le feu en est la cause ? ou « Je ne peux plus regarder la tour… »

C’était révolutionnaire. En conséquence, nous avons banalisé l’utilisation de la réalité virtuelle dans la communauté de cette partie de Londres. Maintenant, quand ils nous voient, ils pensent que nous avons avec nous un casque de RV, au lieu de se dire : « voilà des gens que je devrais éviter ».

DS : Et il y a des chances que vous ayez ce casque avec vous ?
RO : Certes. Nous travaillons actuellement sur un mémorial de cette tour. La tour est toujours debout. Elle est enveloppée de blanc derrière des échafaudages. Dans les deux prochaines années, elle sera probablement retirée avec soin, morceau par morceau. À sa place, il y aura un mémorial, et notre intention est d’utiliser principalement la réalité virtuelle, avec également de la réalité augmentée, pour donner aux gens la possibilité de réfléchir, de construire et de créer leur propre mémorial en RV. Pour que les gens puissent améliorer leur bien-être, nous leur donnerons la possibilité de vivre leur propre mémorial personnel et d’avoir une plus grande chance d’en avoir terminé.

DS : Comment en êtes vous venu à l’idée de cette utilisation particulière de la RV ?
RO : Au premier anniversaire de Grenfell, il y a eu beaucoup de commémorations. Nous avions prévu un espace pour que les enfants puissent faire de la RV et nous avons observé que des adultes entraient et utilisaient notre programme de RV pour dessiner le cœur de Grenfell, le symbole de Grenfell. Ils écrivaient des éloges, laissant des graffiti RIP. Nous avons donc pu voir qu’ils utilisaient cela comme un moyen de commémorer la tragédie.

Puis nous sommes sortis et avons parlé à la communauté et leur avons demandé comment ils verraient le mémorial. Une photo « photogrammétique » ou photo parfaite est une photo dans laquelle le spectateur peut zoomer sur l’environnement. Nous avons compris que si nous pouvions prendre une telle photo de la base de la tour et enlever la tour, nous aurions l’environnement dans une résolution de 6k (haute), dans laquelle chacun pourrait créer son propre mémorial.

DS : Vous disiez que la communauté était restée assez connectée malgré le déménagement ?
RO : Oui, chaque ménage a reçu un nouveau logement, et il existe une communauté homogène de deuil ou de survivants, un groupe d’action appelé Grenfell United, qui suit de très près l’enquête en cours. Ils suivent la procédure d’enquête en personne (avant le COVID) et/ou à distance et nous travaillons avec eux chaque jour où l’enquête se poursuit.

DS : Je suis ravie que vous ayez un moyen de travailler avec eux. Pouvez-vous nous parler de vos autres projets de réalité virtuelle ?
RO : Nous apportons des casques de RV dans les salles de Covid pour favoriser le bien-être du personnel. Nous élaborons également un livre blanc avec le NHSX, qui est responsable de la transformation numérique du NHS. Ce document comportera une feuille de route vers une stratégie NHS XR. Cela comprendra la Réalité Virtuelle pour les applications cliniques et la formation, pour la santé mentale, pour la santé physique, comme la douleur. Pour chacun de ces piliers, le document présentera une analyse de rentabilisation de la RV et présentera le travail déjà en cours dans le NHS avec diverses organisations et start-ups.

DS : Une start-up doit actuellement obtenir l’adhésion individuelle de chaque NHS trust. Cela changera-t-il à l’avenir ?
RO : Vous avez raison. Une startup de Réalité Virtuelle comme toute startup doit passer d’une localisation à l’autre et être approuvée par des centaines de NHS trusts. C’est lent et laborieux. Il n’existe pas de référentiel central pour la RV au NHS. Nous souhaitons développer un mécanisme d’achat pour les applications. Avec NHSX en place depuis 2019, je pense qu’il y a de bonnes chances que nous y parvenions.