Echanges avec Christopher Tacca et Madame le Dr Barbara Kerr à l’Université du Kansas
Où en est le traitement de la dépression avec la Réalité Virtuelle ? Le point de vue de nos experts invités auquel sont ajoutés en supplément des références bibliographiques et d’essais cliniques émanant de Denise Silber.
Lors de la 6e conférence annuelle IVRHA (International Virtual Reality Healthcare Association) à Nashville, Tennessee, la cofondatrice de VRForHealth, Denise Silber, a rencontré Christopher Tacca, doctorant à l’Université du Kansas. Apprenant que la recherche doctorale de Chris est centrée sur l’utilisation de la Réalité Virtuelle dans le domaine de la dépression, et ayant elle-même observé le manque relatif de données sur dépression et réalité virtuelle, Denise a invité Chris à faire une interview sur son travail. Son superviseur, le Dr Barbara Kerr, a aimablement accepté de participer à la conversation.
A la fin de cet article Denise Silber a ajouté:
- deux références bibliographiques Pubmed récentes sur le thème de l’utilisation de la réalité virtuelle dans le cadre de la dépression, et qui confirment la nécessité de poursuivre les recherches sur RV et dépression
- et un tableau des 17 essais cliniques achevés (lien internet) concernant réalité virtuelle et dépression, répertoriés sur ClinicalTrials.gov
Pouvez-vous nous présenter le département de l’Université du Kansas dans lequel vous, Christopher Tacca, faites votre doctorat ?
Chris: Je suis en doctorat de quatrième année en bio-ingénierie à l’Université du Kansas. L’un des axes de la bio-ingénierie est l’accent mis sur la recherche translationnelle en dehors du milieu universitaire, en particulier dans l’axe dans lequel je suis, celui de la conception et de développement de produits biomédicaux. Le programme couvre un grand nombre de sujets, y compris les applications en biologie moléculaire, les biomatériaux, l’orthopédie, la biomécanique et la bio-ingénierie informatique. Cependant, à travers cette grande variété de sujets, l’objectif de la recherche est le même, une recherche centrée sur l’amélioration de la santé des personnes. Auparavant, la bio-ingénierie à l’Université du Kansas ne mettait pas l’accent sur la recherche en santé mentale, cependant, j’ai eu la chance d’être présentée par ma conseillère en recherche en bio-ingénierie, le Dr Lisa Friis, au Dr Barbara Kerr, spécialisée en conseil en psychologie et qui répondra également à ces questions. Ensemble, nous avons conçu un moyen de fusionner les principes de la bio-ingénierie dans lesquels j’ai été formé et l’expérience du Dr Kerr en conseil et en psychologie pour répondre à un besoin qui nous passionne tous les deux personnellement, le traitement de la dépression pour ceux qui sentent qu’ils n’ont pas d’options..
Barb: C’est la première fois que je co-encadre un élève ingénieur ! Je suis Professeur Emérite de la famille Williamson en Conseil en Psychologie, au Département de Psychologie de l’Education. J’ai travaillé avec le Dr Lisa Friis sur un certain nombre de projets STEM (Science, Technologie, Engineering, Mathématique), et il était naturel de collaborer avec elle à ce sujet. Chris a participé non seulement à mes cours de formation en conseil, mais aussi à un cours d’études à l’étranger dans lequel nous avons visité les environnements thérapeutiques des fondateurs de la psychothérapie, tels que Freud, Jung et Victor Frankl.
Comment/pourquoi avez-vous choisi le sujet de la réalité virtuelle et de la dépression pour votre travail de doctorat ?
Chris: J’ai choisi ce sujet à partir d’une expérience très personnelle pour moi. Comme je l’ai dit précédemment, j’ai une formation en bio-ingénierie et j’ai toujours eu une passion pour la construction, la création de nouvelles choses et la recherche de nouvelles façons d’aider les gens. Au printemps 2018, je venais d’obtenir mon diplôme universitaire, j’avais hâte de passer un été amusant et je me préparais pour ma nouvelle vie au Kansas pour des études supérieures à l’automne. Ce n’est qu’environ une semaine après avoir obtenu mon diplôme que j’ai découvert qu’un de mes amis, camarade diplômé avec moi, et quelqu’un avec qui je venais de fêter notre séjour à l’université, s’était suicidé. C’était déroutant, choquant et déchirant pour moi, mais surtout pour sa famille et ses amis les plus proches. J’ai vu de mes propres yeux la douleur qu’une maladie comme la dépression peut causer. Lorsque j’ai commencé mes études supérieures et que j’ai eu l’occasion le premier semestre de choisir un laboratoire et un sujet de recherche, j’ai décidé que tout ce que je voulais faire était de créer quelque chose qui pourrait aider au moins une personne comme lui. Je suis allé chercher des professeurs qui pourraient m’aider avec ça, et j’ai trouvé deux personnes merveilleuses, en la personne du Dr Friis et du Dr Kerr. Ensemble, nous avons pu donner vie à cette idée.
Barb: L’un des troubles les plus difficiles à diagnostiquer et à traiter correctement est la dépression, et c’est le principal problème rencontré également dans le cadre de l’anxiété. Une autre problématique est que les personnes qui ont le plus besoin d’une thérapie sont celles qui sont le moins susceptibles de pouvoir sortir de leur lit, de quitter leur maison et de se rendre au cabinet d’un thérapeute. Les personnes déprimées sont des personnes isolées, et notre système s’attaque vraiment à ce problème.
Quelles sont les principales conclusions et références bibliographiques sur la valeur de la réalité virtuelle pour les personnes souffrant de dépression ?
Chris: La réalité virtuelle est depuis longtemps une technologie intrigante pour le traitement de la santé mentale, en raison de ses propriétés immersives. La réalité virtuelle, par rapport à d’autres ‘formes de médias’, peut véritablement amener les gens dans un environnement virtuel, où ils ont physiquement l’impression de se trouver. Ainsi, dans le domaine de la santé mentale, la réalité virtuelle a été utilisée avec succès pour traiter diverses phobies et anxiétés grâce à une thérapie d’exposition immersive, promouvoir le bien-être mental grâce à l’entraînement à la méditation et à d’autres traitements innovants. Pour la dépression, nous pensons que la réalité virtuelle peut apporter une valeur ajoutée immense pour la même raison. Fondamentalement, notre recherche est centrée sur la théorie des facteurs communs, qui identifie les facteurs clés qui influent la guérison thérapeutique. Ainsi, ils identifient ce qui est important pour développer un système de thérapie efficace concernant le traitement de la dépression. L’un des facteurs communs, l’environnement thérapeutique, stipule que pour que la guérison ait lieu, la personne doit se trouver dans un espace où elle se sente à l’aise, en sécurité et ouverte à la vulnérabilité. Pour quelqu’un qui se sent coincé dans un endroit qui ne répond pas à ces attentes, la réalité virtuelle peut l’amener à la rencontre d’un espace plus sécurisant.
Barb: Comme l’a dit Chris, la thérapie utilisant la réalité virtuelle s’est principalement déroulée dans le bureau du thérapeute plutôt qu’en traitement à distance. Il est de plus en plus populaire auprès d’une génération à l’aise avec les environnements virtuels ; mais le gros problème est que le thérapeute ne peut pas voir les émotions du patient dans un cadre éloigné. Notre système, compatible EEG, rend les émotions visibles pour le thérapeute. Autrement dit, le thérapeute dispose d’un moniteur en temps réel concernant l’état d’activation physiologique et psychologique du patient, tandis que le patient expose le contexte narratif. Le thérapeute peut déduire l’émotion du patient de la combinaison de son récit et de son état d’activation physiologique et psychologique
Il y a beaucoup moins d’entreprises travaillant sur des solutions RV dans l’axe dépression que pour l’anxiété, par exemple. Qu’en pensez-vous ? Quelles solutions avez-vous identifiées ?
Chris: Il existe de nombreuses entreprises formidables qui s’intéressent aux problèmes de santé mentale en utilisant la réalité virtuelle. De nombreux traitements utilisant la réalité virtuelle se centrent sur le TSPT, les phobies ou les anxiétés, mais peu concernent spécifiquement la dépression de manière clinique. Je pense que l’une des raisons de cet écart est que, pour quelque chose comme le traitement d’une certaine phobie, il existe une relation très linéaire entre ce qui est nécessaire pour le traitement et la valeur que la réalité virtuelle apporte. Par exemple, pour la peur de voler, il pourrait ne pas être possible de demander à quelqu’un de monter dans un avion et d’affronter ses peurs. Au lieu de cela, la réalité virtuelle offre une alternative très contrôlée et émotionnellement stimulante. Pour la dépression, les avantages pourraient ne pas être aussi évidents. Espérons qu’avec davantage de recherches et de travaux sur l’utilisation de la réalité virtuelle pour la dépression, sa valeur deviendra plus évidente pour davantage de psychologues, de conseillers, d’entreprises et de personnes.
Barb: Oui, nous connaissons très peu de personnes travaillant dans le domaine de l’utilisation de la réalité virtuelle pour la dépression. Un petit nombre de personnes ont ouvert des cabinets de thérapie dans Second Life à ses débuts, mais ceux-ci ne semblent jamais être devenus populaires.
Qu’en est-il dans le milieu universitaire ? Êtes-vous au courant des recherches en cours sur l’utilisation de la réalité virtuelle dans l’axe dépression ?
Chris: Dans le milieu universitaire, je pense que c’est une histoire très similaire, surtout dans son origine. Cependant, de plus en plus de personnes à travers le monde s’intéressent aux problèmes de santé mentale en utilisant la réalité virtuelle. Je pense que cela devient de plus en plus accepté et important dans la recherche, et je suis enthousiasmé par les nouvelles idées qui sortent des universités.
Barb: Non, la plupart des applications académiques semblent utiliser la réalité virtuelle pour la formation aux compétences sociales ou à d’autres formations de base pour les personnes ayant une déficience intellectuelle ou neuro.
Comment voyez-vous ce domaine (RV dans le cadre de la dépression) évoluer dans les prochaines années ?
Chris: Je suis enthousiasmé par ce que les prochaines années nous réservent en ce qui concerne l’utilisation de la RV dans l’axe dépression. Au cours des deux dernières années, pendant la pandémie mondiale, les thérapeutes ont été contraints d’accepter l’utilisation de la technologie dans leur pratique et beaucoup ont découvert que cela pouvait être très bénéfique. Nous sommes à un carrefour très intéressant d’énormes progrès dans la technologie RV, d’une plus grande acceptation de la technologie par les praticiens et de l’accent mis sur les soins de santé mentale. Je pense que dans quelques années, la recherche concernant l’utilisation de la RV dans l’axe dépression et son utilisation pratique aura considérablement augmenté.
Barb: Compte tenu de l’augmentation des ateliers de développement professionnel à l’APA (American Psychological Association) et de l’augmentation constante des articles publiés, je pense qu’une vague commence et je suis contente que nous surfions dessus.
***
Denise Silber:
Veuillez trouver ci-dessous deux références bibliographiques et commentaires issus de ma recherche Pubmed selon les critères : articles en libre accès, Réalité virtuelle et dépression apparaissant dans le titre, publiés depuis 2020. Contrairement à l’anxiété et à la douleur, et comme l’ont noté nos invités Chris et Barb, il existe beaucoup moins de recherches spécifiques et publiées concernant l’utilisation de la Réalité Virtuelle dans l’axe dépression..
Virtual Reality Therapy for Depression and Mood Disorders in Long-Term Care Facilities Geriatrics (Basel)2021 Jun 4;6(2):58. doi: 10.3390/geriatrics6020058.
TLa figure suivante apparaissant dans cet article démontre qu’il existe des preuves de l’amélioration de l’humeur et des symptômes associés, mais il existe diverses limites à la démonstration : durée minimale de traitement, critères de dépression non pleinement évalués, etc.
Virtual Reality for Depression and Anxiety: Scoping Review September 2021 (JMIR)
https://mental.jmir.org/2021/9/e29681/
Denise : La conclusion de cet article souligne également la nécessité de poursuivre les recherches sur l’utilisation de la Réalité Virtuelle dans l’axe Dépression !
« Concrètement, nous avons trouvé beaucoup d’études consacrées à l’une ou l’autre forme d’anxiété, alors qu’un nombre limité d’études se sont concentrées sur la dépression (4/34, 12%). Soutenir les personnes souffrant de dépression dans les environnements de réalité virtuelle pourrait être un domaine intéressant à explorer pour les chercheurs en santé et en technologie à l’avenir. »
Nous sommes ravis de noter que le site ClinicalTrials.gov rapporte 17 essais complets concernant Réalité Virtuelle et Dépression. La recherche est parfaitement liée dans notre introduction à cet article.