Transformer la santé mentale : le rôle de la réalité virtuelle dans une nouvelle ère de traitement par le Dr Farah Shiraz

Photo : Une thérapeute et une patiente utilisant le logiciel HEKA VR en pratique clinique.

Nous sommes honorés d’accueillir le Dr Farah Shiraz en tant que rédactrice invitée sur VRforHealth. Il s’agit de son premier article sur notre plateforme, et quelle entrée en matière percutante ! Avec plus de 20 ans d’expérience dans la santé mentale — entre pratique clinique, recherche académique et innovation digitale — le Dr Shiraz apporte un éclairage profond et limpide sur l’un des défis les plus urgents de notre système de santé actuel.

Dans l’article ci-dessous, elle explore comment la réalité virtuelle transforme les soins en santé mentale, de la thérapie par exposition en réalité virtuelle à la thérapie immersive par avatar pour la schizophrénie, et au-delà. S’appuyant sur des références scientifiques solides et des applications concrètes, elle illustre comment la réalité virtuelle peut non seulement renforcer les approches traditionnelles, mais aussi créer des traitements plus personnalisés, accessibles et efficaces pour celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Denise Silber

Article du Dr Farah Shiraz, directrice scientifique, HEKA VR.

La « dinosaure » de la santé mentale

Les troubles de santé mentale représentent l’un des enjeux majeurs de santé publique de notre époque. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), d’ici 2030, les troubles mentaux devraient devenir la première cause de charge de morbidité dans le monde. Des affections comme la dépression ou la psychose représentent déjà environ 14 % de cette charge globale (OMS, 2024). Ces chiffres soulignent l’urgence de développer des solutions plus efficaces, évolutives et accessibles pour répondre à une demande croissante.

Malgré une prise de conscience accrue, la santé mentale reste un « dinosaure » dans le monde médical : lente à évoluer et mal préparée à répondre aux besoins urgents et complexes d’aujourd’hui. Les services traditionnels sont débordés, obsolètes et souvent inaccessibles, laissant des millions de personnes sans soutien adéquat. Le secteur a besoin d’innovations, de nouvelles solutions, de technologies et de parcours de soins capables de combler l’écart entre la demande et l’offre. L’une des perspectives les plus prometteuses qui émerge est l’usage de la réalité virtuelle (VR), un outil puissant qui s’impose progressivement dans le domaine de la santé mentale. Des séances thérapeutiques immersives aux environnements apaisants en passant par des outils de formation pour les professionnels, la VR permet de rendre les traitements plus engageants, efficaces et largement accessibles.

Ne serait-il pas temps de réimaginer les soins en santé mentale et d’adopter des technologies capables de transformer la façon dont nous prenons soin de notre esprit ? Cet article explore comment la réalité virtuelle est en train de redessiner le paysage de la santé mentale, en présentant plusieurs exemples concrets d’utilisation actuelle.

Le rôle de la réalité virtuelle (VR) dans la santé mentale

L’usage de la réalité virtuelle dans la santé mentale remonte au milieu des années 1990, lorsque des chercheurs ont commencé à explorer son potentiel thérapeutique. Une des premières applications majeures a été développée par le Dr Barbara Rothbaum et le Dr Larry Hodges à l’Université Emory. Ils ont utilisé la VR pour pratiquer une thérapie d’exposition auprès de patients souffrant d’acrophobie (peur des hauteurs). Grâce à des simulations en VR, les patients étaient exposés progressivement à des environnements en hauteur, dans un cadre sécurisé, favorisant la désensibilisation sans risque réel. Cette étude pionnière a démontré que la VR pouvait offrir un cadre immersif, contrôlé et sécurisé pour l’exposition graduée à des stimuli anxiogènes, marquant une avancée significative dans le traitement de l’anxiété. Elle a lancé une vague de recherches et est aujourd’hui considérée comme un moment charnière, prouvant que la VR pouvait être un véritable outil clinique et non un simple gadget technologique.

Applications de la VR dans le traitement des troubles mentaux

La réalité virtuelle ouvre aujourd’hui des voies puissantes dans le traitement de l’anxiété. En immergeant les individus dans des environnements interactifs réalistes, la VR permet une exposition sécurisée à des situations anxiogènes. Cette approche, appelée thérapie par exposition en réalité virtuelle (VRET), aide les patients à affronter et gérer progressivement leurs peurs. Par exemple, des personnes souffrant d’anxiété sociale peuvent s’exercer à parler en public ou à interagir socialement dans des environnements virtuels. Celles qui ont peur de l’avion ou souffrent d’agoraphobie peuvent simuler des aéroports, des avions ou des espaces publics bondés, sans quitter la salle de thérapie. Ces simulations sont conçues pour paraître assez réelles afin d’activer les mêmes réponses émotionnelles que dans la vie réelle, mais dans un cadre thérapeutique et sécurisé. Avec le temps, l’exposition répétée permet de réduire les comportements d’évitement, d’augmenter la confiance en soi et d’améliorer les capacités de gestion du stress. La VR permet aussi aux thérapeutes d’adapter les scénarios au profil de chaque patient, rendant le traitement plus personnalisé et engageant. Cette flexibilité, couplée au réalisme de l’expérience, fait de la VR un outil thérapeutique particulièrement puissant.

Et ce qui est enthousiasmant, c’est que la recherche ne s’arrête pas à l’anxiété. On observe une adoption croissante de la réalité virtuelle dans tout le spectre de la santé mentale.

Pionniers et cas d’usage : de l’anxiété à la psychose

Le professeur Daniel Freeman est un pionnier reconnu dans l’usage de la VR pour le traitement des troubles anxieux et de la psychose. Ses recherches montrent que la réalité virtuelle peut atteindre des patients difficiles à engager avec les approches classiques. Dans une étude marquante (Freeman et al., 2022), lui et son équipe ont mis au point une thérapie automatisée en réalité virtuelle, avec un coach virtuel, destinée à des personnes souffrant d’agoraphobie et de délires de persécution. Le programme plongeait les patients dans des environnements comme des bus, cafés ou rues animées, leur permettant d’affronter en sécurité des situations génératrices d’anxiété. Le coach virtuel proposait en temps réel des stratégies cognitivo-comportementales, aidant les patients à reconfigurer leurs pensées, gérer leurs émotions et réduire les comportements d’évitement. Aucun thérapeute n’était physiquement présent, rendant le traitement hautement évolutif et économique — un avantage majeur face à la pénurie de professionnels. Les travaux de Freeman ont non seulement prouvé l’efficacité clinique de la VR, mais aussi modifié les perceptions sur le rôle des technologies immersives dans les cas de santé mentale sévères. Son approche ouvre la voie à des traitements validés scientifiquement, à plus grande échelle, et plus accessibles.

La thérapie par avatar en réalité virtuelle

Autre cas fascinant : la thérapie par avatar, destinée aux personnes souffrant d’hallucinations auditives résistantes aux médicaments. En 2013, le professeur Julian Leff a introduit cette méthode innovante : le patient co-crée un avatar numérique en 2D représentant la voix qu’il entend — ton, contenu, personnalité. Grâce à une modulation vocale, le thérapeute s’exprime à travers l’avatar pour instaurer un dialogue structuré entre le patient et cette voix. L’objectif : favoriser la régulation émotionnelle, l’insight et l’autonomisation. Au fil des séances, l’avatar passe d’un ton hostile à un ton soutenant, renforçant le sentiment de contrôle du patient. Des études (Craig, 2015 ; Garety, 2024) ont montré des réductions significatives de la fréquence, de l’intensité et du pouvoir perçu de ces voix. Certaines personnes ont même cessé d’entendre des voix après quelques séances seulement.

S’appuyant sur ces fondations, HEKA VR a développé une plateforme en réalité virtuelle immersive, permettant aux patients de rencontrer leurs avatars dans un espace 3D réaliste, augmentant l’impact émotionnel et thérapeutique. Cette immersion favorise un sentiment de présence accru, rend l’interaction plus personnelle et corporelle, et pourrait améliorer l’efficacité du traitement.

En combinant la puissance immersive de la VR au cadre psychologique de la thérapie par avatar, HEKA VR amplifie cette innovation thérapeutique et la rend plus accessible. L’approche se montre prometteuse pour les personnes atteintes de schizophrénie résistante aux traitements (Smith et al., Vass 2024), mais des études sont aussi en cours pour les TOC (Willie et al., 2025) et les troubles du comportement alimentaire.

Conclusion : la VR thérapeutique, un nouvel outil essentiel

Virtual Reality therapy is more than just a futuristic idea, it’s a bold new concept in mental health care. La thérapie par réalité virtuelle n’est pas un concept du futur : c’est déjà une réalité audacieuse en santé mentale. Sans remplacer la thérapie traditionnelle, elle s’impose comme un outil complémentaire puissant, capable de personnaliser les soins, d’augmenter l’engagement, et d’atteindre celles et ceux qui restent trop souvent en marge du système. En associant le meilleur de la pharmacologie, de la psychologie et de la technologie, nous pouvons offrir des traitements plus efficaces, mais aussi plus humains.

Mais l’innovation ne suffit pas à elle seule. Pour libérer tout le potentiel de la VR, il faut une mise en œuvre intelligente : des professionnels bien formés, une recherche rigoureuse et un accès équitable à des outils fondés sur des preuves. Si nous réussissons cela, la thérapie VR pourrait devenir un pilier des soins modernes en santé mentale — un levier d’autonomie pour les patients et les soignants, et une chance de guérison pour des millions de personnes à travers le monde.

References

  • Craig TK, Rus-Calafell M, Ward T, et al. The effects of an Audio Visual Assisted Therapy Aid for Refractory auditory hallucinations (AVATAR therapy): study protocol for a randomised controlled trial. Trials 2015; 16: 349
  • Freeman, D., Altunkaya, J., et al. (2022) ‘Automated virtual reality therapy to treat agoraphobic avoidance and distress in patients with psychosis (gameChange): a multicentre, parallel-group, single-blind, randomised, controlled trial in England with mediation and moderation analyses’, The Lancet Psychiatry, 9(5), pp. 375–388.
  • Garety, P.A., Edwards, C.J., Jafari, H. et al. Digital AVATAR therapy for distressing voices in psychosis: the phase 2/3 AVATAR2 trial. Nat Med 30, 3658–3668 (2024). https://doi.org/10.1038/s41591-024-03252-8
  • Hodges, Larry & Kooper, Rob & Opdyke, D & Williford, J.S. & North, M.M.. (1995). Effectiveness of Computer-generated (virtual reality) graded exposure in the treatment of acrophobia. The American journal of psychiatry. 152. 626-8. 10.1176/ajp.152.4.626.
  • Leff J, Williams G, Huckvale MA, Arbuthnot M, Leff AP. Computer-assisted therapy for medication-resistant auditory hallucinations: proof-of-concept study. Br J Psychiatry 2013; 202: 428–33. 11
  • Rothbaum, B. O., Hodges, L. F., Kooper, R., Opdyke, D., Williford, J. S., & North, M. (1995). Effectiveness of computer-generated (virtual reality) graded exposure in the treatment of acrophobia. The American Journal of Psychiatry, 152(4), 626–628.
  • Smith, S., et al. (2023) ‘The potential of avatar therapy in treating auditory hallucinations: A systematic review’, Psychological Medicine, 53(5), pp. 1853-1862
  • Wille, L., Lohse, L., Jelinek, L., Moritz, S., Schultz, J., Borsutzky, S., Yassari, A. H., Mariegaard, L., Vernal, D. L., Bekker, S. H., Glenthøj, L. B., & Miegel, F. (2025). Enhancing insight in patients with obsessive-compulsive disorder: A case study on avatar therapy using virtual reality. Journal of Clinical Psychology
Dr Farah Shiraz
Dr Farah Shiraz, CSO, HEKA VR

Dr. Farah Shiraz, Chief Scientific Officer, HEKA VR With over 20 years of experience in mental health, spanning clinical practice, academia, and digital health innovation, Dr Shiraz is dedicated to translating cutting-edge research into scalable, patient-centered solutions. She has a PhD in Psychology and as Chief Scientific Officer at HEKA VR, a pioneering mental health startup. Farah leads the integration of evidence-based practices into Virtual Reality (VR) solutions designed to support patients with severe mental health conditions. At HEKA VR, she plays a key role in advancing Virtual Reality-based AVATAR therapy, a groundbreaking intervention for individuals with schizophrenia experiencing auditory hallucinations. By working closely with clinicians, researchers, and patient advocacy groups, Farah ensures that technological innovation aligns with real-world clinical needs, bridging the gap between research and practical application.

Previously, Dr Shiraz was as an Assistant Professor, at the National University of Singapore, leading international research in global mental health. This academic expertise, combined with years of clinical experience, provides a unique foundation for navigating the intersection of science, technology, and patient care. Committed to driving progress in mental health, she continues to focus on developing innovative digital therapeutics that are both scientifically rigorous and accessible, aiming to improve the lives of individuals affected by severe mental health conditions.

About HEKA VR

HEKA VR is a Danish healthtech company that leverages virtual reality (VR) to transform mental health treatment. Specializing in immersive therapies for conditions like psychosis, OCD and eating disorders, HEKA VR combines cutting-edge VR technology with psychological research to offer effective, evidence-based solutions. Their flagship VR avatar therapy software helps patients with auditory hallucinations by externalizing their voices through avatars, significantly reducing distress. The development of this solution is underpinned by direct patient involvement, ensuring the technology meets real-world needs and improves outcomes. The team at HEKA VR is multidisciplinary, drawing on expertise from mental health, commercial experts, software developers, and project managers, ensuring that the product is clinically relevant, technically advanced, and practically deployable. Through collaboration with healthcare providers, HEKA VR aims to make mental health care more accessible, efficient, and impactful, particularly in underserved areas.