Quel avenir pour la réalité virtuelle thérapeutique, et pourquoi est-ce important ?

by Denise Silber

Une perspective personnelle

En 2015, lors de la conférence Serious Games for Health à Utrecht, j’ai découvert la réalité virtuelle thérapeutique grâce à deux stands d’exposition. L’un proposait une simulation d’ascenseur en verre à 360° pour traiter la peur du vide. Les mouvements de ma tête contrôlaient la vitesse et la direction de l’ascenseur, renforçant l’immersion. L’autre était un jeu de rééducation visuelle ludique mais précis, dans lequel je visais des étoiles uniquement avec mes yeux – un traitement de l’amblyopie, ou “œil paresseux”. J’étais conquise !

Pendant la pandémie de Covid, nous avons lancé VRforHealth.com, un site de référence en ligne dédié aux usages thérapeutiques de la réalité virtuelle, pensant que la crise allait accélérer l’essor de ce domaine.

Dix ans se sont écoulés depuis cette conférence à Utrecht. Aujourd’hui, les casques de VR coûtent moins cher que les smartphones. Il est temps de faire le point et de penser aux prochaines étapes.


Des résultats solides dans plusieurs domaines cliniques

Le potentiel thérapeutique de la réalité virtuelle a été démontré dans un nombre croissant d’usages cliniques — de la gestion de la douleur et de l’anxiété à la rééducation physique et la santé mentale. En 2024, 1 412 publications ont été indexées sur PubMed, et plus de 7 000 depuis 2015.

La VR permet une exposition progressive immersive, précisément adaptée à chaque patient. De nombreux praticiens observent ainsi des progrès plus rapides qu’en consultation traditionnelle.

Outre les phobies, l’anxiété et la thérapie cognitive comportementale, la VR est utilisée pour atténuer les symptômes du stress post-traumatique, et montre des promesses pour la dépression et la schizophrénie.

Elle a aussi un rôle prometteur dans la réduction de la douleur et de l’anxiété liées aux actes médicaux, chez les enfants comme chez les adultes — peur des aiguilles, pose de dérivation, séances de chimiothérapie.

En gestion de la douleur, qu’elle soit aiguë (pansements, accouchement, chimiothérapie) ou chronique (douleurs persistantes liées à un cancer ou à une pathologie neurologique), la VR est efficace.

En kinésithérapie, la VR soutient la rééducation post-AVC, la rééducation neurologique et orthopédique, en améliorant la motivation, la qualité des mouvements et l’adhésion au traitement.

Et pourtant, l’adoption large de la VR thérapeutique ne passe pas à l’échelle. Six facteurs expliquent cette situation :


1. Un manque de notoriété

Le manque de notoriété reste un obstacle fondamental. La majorité des professionnels de santé ignorent que la VR peut avoir une utilité clinique. Pour certains, l’idée même qu’une technologie puisse avoir une valeur thérapeutique suscite du scepticisme. Et même parmi les informés, peu ont été formés. La VR est quasi absente des cursus médicaux initiaux ou continus. Les décideurs hospitaliers, peu familiers avec les preuves, hésitent à autoriser ou investir dans ces interventions.


2. Une terminologie et une technologie en évolution

Le vocabulaire autour de la VR thérapeutique reste instable, car la technologie elle-même évolue. Les professionnels de santé entendent divers termes — réalité virtuelle, technologie immersive, réalité étendue, XR médicale, informatique spatiale — utilisés de manière inégale. Cette confusion sémantique nuit à la compréhension et à la confiance.


3. Le poids des idées reçues

La VR reste associée au jeu vidéo, et plus récemment à l’éducation. Ces usages ne renforcent pas sa crédibilité clinique. Par ailleurs, le concept de métavers a connu des turbulences, alors que les cliniciens cherchent des solutions concrètes et validées pour leurs patients, ici et maintenant.


4. L’absence de modèle économique et d’infrastructure

Sur le plan de l’infrastructure et des modèles économiques, les obstacles sont nombreux. Il n’existe pas de modèle standardisé pour intégrer la VR au système de santé. Les casques peuvent être achetés par les établissements, les médecins ou les patients, sans voie claire de remboursement. Les mises à jour fréquentes du matériel posent la question de l’obsolescence. Côté logiciel, les applications thérapeutiques sont dispersées et manquent de structuration, contrairement aux médicaments.


5. Le fossé entre pilotes et pratique

Même lorsque des outils de VR montrent des résultats prometteurs, ils ne dépassent que rarement le stade du pilote. L’adoption clinique est freinée par l’absence de voies d’intégration dans la pratique quotidienne. Ce fossé “pilote à pratique” est l’un des plus grands freins à l’impact réel.


6. L’innovation portée par les start-ups, mais insuffisante seule

Le secteur avance, porté par des start-ups agiles et créatives. Mais ces jeunes entreprises manquent souvent des ressources pour communiquer à grande échelle, former les cliniciens ou convaincre les institutions de leur viabilité. Contrairement aux médicaments ou dispositifs médicaux, la VR thérapeutique ne bénéficie pas d’un plaidoyer structuré des sociétés savantes et de grands industriels.


La voie à suivre : structuration, collaboration et plaidoyer

Malgré ces défis, l’opportunité est réelle. Les obstacles sont structurels, mais pas insurmontables. Il est temps de mener un effort stratégique et collectif pour faire passer la VR de la marge au cœur du parcours de soins.

Avec une action coordonnée, la discipline peut arriver à maturité. Industriels, autorités de santé, éducateurs et professionnels doivent collaborer pour :

  • Unifier le vocabulaire
  • Intégrer la VR dans les formations initiales et continues
  • Promouvoir des cas d’usage cliniquement validés
  • Développer des modèles économiques viables : abonnement, leasing, propriété partagée
  • Créer des “formulaires VR” ou registres d’applications pour guider les cliniciens

Et surtout, nous avons besoin de porte-voix — des figures médicales respectées — qui parlent de la VR comme d’un outil indispensable pour améliorer les soins.


Répondre à la question : Quel avenir pour la VR thérapeutique et pourquoi est-ce important ?

Quel avenir pour la VR thérapeutique ?
Un avenir où des expériences immersives, fondées sur des preuves, sont intégrées dans la pratique quotidienne — prescrites par les médecins, soutenues par les institutions, remboursées par les financeurs, adoptées par les patients. Cet avenir dépendra non seulement de la technologie, mais aussi d’un écosystème structuré, collaboratif, et piloté par les cliniciens.

Et pourquoi est-ce important ?
Parce que les pathologies concernées par la VR — douleur aiguë et chronique, anxiété, traumatisme et autres conditions de santé mentale, handicap physique — sont parmi les plus humaines et répandues en médecine. La VR offre une manière de traiter non seulement les symptômes, mais aussi l’expérience du soin lui-même. Et cela suffit à justifier la construction de cet avenir — ensemble.


De l’analyse à l’action : appel à une Conférence Action VR Thérapeutique

Si nous sommes d’accord sur le fait que les résultats sont très encourageants et que les obstacles sont structurels, alors la prochaine étape n’est pas une nouvelle présentation des preuves cliniques, mais un changement de méthode.

Il est temps d’organiser une Conférence Action sur la VR thérapeutique :
Un événement virtuel non pas pour présenter des études, mais pour rassembler industriels, cliniciens, financeurs, formateurs et régulateurs autour de la conception de solutions concrètes au fossé pilote/pratique. Il nous faut aligner les voies de validation et définir des modèles économiques viables pour passer de la fragmentation à des soins à l’échelle.

La VR thérapeutique n’a pas tant besoin de preuves de concept que de preuves d’engagement.


À propos de l’autrice

Denise Silber, pionnière internationale de la santé numérique, est fondatrice de Basil Strategies, une agence de communication basée à Paris, dédiée à la promotion de la santé numérique et à l’amélioration de la manière dont les innovations sont diffusées. Basil Strategies est aussi à l’origine de VRforHealth.com, première plateforme de contenu et de partenariats dédiée à la réalité virtuelle thérapeutique.

Denise anime des webinaires à fort impact et des événements présentiels, et conçoit des interviews de cliniciens, des livres blancs, et des stratégies LinkedIn pour les entreprises de santé. Membre du Virtual Advisory Board, elle conseille des entreprises en tant qu’administratrice indépendante.

Américaine multiculturelle vivant à Paris, Denise a reçu la Légion d’honneur en 2011, a été nommée parmi les InspiringFifty France en 2018, et est Ambassadrice numérique pour la Commission européenne depuis 2022.

Diplômée de la Harvard Business School, elle anime le podcast Harvard Alumni Entrepreneurs, est membre du conseil d’honneur du Harvard Club de France, et vice-présidente de la Fédération nationale de l’information médicale (FNIM).